Ecrivain, éditeur… votre vie artistique est intimement
liée au Nyctalope. Pourquoi êtes-vous autant attaché au personnage ?
C’est
un personnage que j’ai découvert dans ma jeunesse ; je devais avoir 15-16
ans et j’achetais des Fleuve Noir, des Marabout, des Arabesque et autres collections
populaires, à la pelle –6 pour 10 francs !– chez les bouquinistes de
Toulon. J’ai découvert Le Nyctalope dans les rééditions de
Jaeger-d’Hauteville des années 50 avec de jolies couvertures de
Brantonne. C’est d’ailleurs ces couves qui m’ont amené à acheter les livres,
car Brantonne illustrait aussi (vous devez le savoir) les couves du Fleuve Noir
Anticipation.
Les
romans en eux-mêmes, il faut bien l’avouer, étaient souvent un peu
décevants : de bonnes idées, mais un traitement qui avait déjà vieilli. A
l’époque j’appréciais d’avantage Bob Morane et Doc Savage, chez Marabout.
Néanmoins il y avait un charme tout particulier chez La Hire –en particulier
ses méchants– qui a fait que j’en ai conservé un bon souvenir. Un peu comme le
Chevalier Coqdor de Maurice Limat, que j’ai également repris et poursuivi chez Rivière Blanche, le héros, même désuet,
conservait un charme puissant qui faisait rêver à ce qui aurait pu
être...
"Le
public américain s’est pris tout de suite d’engouement pour ce proto-Doc Savage
français"
Les premiers travaux que vous avez publiés sur
Léo Saint-Clair l’ont été aux USA. Quand vous avez réédité l’une des plus
fameuses histoires du Nyctalope (Lucifer), c’était d’abord aux Etats-Unis en 2007. Le public
américain est-il paradoxalement plus réceptif que la France face à ce type
d’héros populaire ?
Tout
à fait, oui. Le public américain s’est pris tout de suite d’engouement pour ce
proto-Doc Savage français, un peu naïf mais pourtant si attachant. Par
« public », j’entends bien sûr les amateurs éclairés qui
s’intéressent aux héros de pulps et d’aventure, pas le « grand
public » qui ignore tout autant le Nyctalope que Doc Savage ou le Shadow.
La preuve de l’engouement et du succès est que de nombreux auteurs m’ont
immédiatement proposé des nouvelles mettant en scène Léo.
Ne
dit-on pas que l’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie ?
En France, par contre, à part une toute petite poignée d’amateurs, c’est le
silence le plus total. On a dû vendre moins de 100 exemplaires de Lucifer,
en dépit de l’importance de l’œuvre, et de l’appareil critique qui
l’accompagne. C’est vraiment attristant !
Pourquoi un accueil si différent entre les
deux continents ?
Parce
que les anglo-saxons sont attachés à leur tradition populaire : regardez,
il y a présentement trois séries mettant en scène Sherlock Holmes : les
films avec Robert Downey, Elementary aux USA et Sherlock en
Angleterre ; toutes les trois excellentes.
Notre
dernier Fantômas remonte à 1980 avec Helmut Berger et avant ça, les Louis de
Funès/Jean Marais des années 60. Idem pour Lupin : à part un film
médiocre, il faut remonter à la version avec Descrières des années 70. Rien sur
Judex. Rien sur le Sâr Dubnotal. Rien sur Rocambole ou les Habits Noirs depuis
le début des années 60. Un Belphégor catastrophique... Le constat est
affligeant.
"Rien
sur Judex. Rien sur le Sâr Dubnotal. Rien sur Rocambole ou les Habits Noirs
depuis le début des années 60. Un Belphégor catastrophique... Le constat est
affligeant"
Les éditions Rivière blanche œuvrent depuis de
longues années à faire revivre Le Nyctalope. Le succès est-il au
rendez-vous ?
Non,
c’est le moins qu’on puisse dire. Je suis reconnaissant aux quelques fans qui
nous suivent dans cette aventure, mais le public, même le public SF, nous
boude. Notez qu’on vient de sortir le premier nouveau Fu Manchu écrit depuis 30
ans (un petit évènement aux USA !) en VF, inédit en France, il est sorti
dans un silence assourdissant. Donc ce n’est pas que le Nyctalope qui laisse
indifférent. Les Français ne s’intéressent pas à leur passé populaire.
Pourquoi ce long travail ? Est-ce pour
réhabiliter le personnage ?
Parce
que comme pour l’œuvre de Maurice Limat, ou Richard Bessiere, ou les BD de
petit format publiées jadis par les éditions Lug et rééditées chez nous dans la
collection Hexagon Comics, il faut préserver notre patrimoine culturel
populaire. Si on ne le fait pas, personne d’autres ne le fera. Pour moi c’est
un impératif, la mission de notre maison d’édition. Ça et la découverte de
nouveaux talents pour qui il n’y a plus de débouchés aujourd’hui.
Les livres de Jean de La Hire ont-ils toujours
leur place dans les rayons du XXIe siècle ?
Absolument,
oui. Sinon l’intégrale de son œuvre –ce serait trop– mais au moins quelques
romans essentiels qui sont une « milestone » comme on dit en anglais,
une pierre blanche dans l’itinéraire qui va des Chansons de Geste du Moyen âge
aux super-héros de notre époque. Comment apprécier pleinement le présent si on
ne connaît pas au moins les éléments essentiels du passé ?
"Comme
beaucoup de héros qui succombent à une tentation, c’est la rédemption qui est
la plus intéressante à décrire"
Vous-même, vous avez également signé (et publié)
plusieurs œuvres originales mettant en scène de nouvelles aventures du
Nyctalope. Pourquoi faire revivre un héros oublié ?
Par
nostalgie personnelle, bien sûr, mais aussi parce que la
« dynamique » de Léo Saint-Clair est unique dans l’histoire de la
littérature populaire, de par la période « collaborationniste » du
personnage et de son auteur. Si l’Angleterre avait été envahie par les
Allemands et était tombée sous la domination nazie, je suis persuadé qu’Enid
Blyton (pour ne citer qu’elle) aurait collaboré et le Club de Cinq aurait
rejoint les jeunesses hitlériennes.
Mais
voila, eux n’ont pas été envahi ; nous, si. Le challenge consistait à
redorer le blason du Nyctalope de façon crédible ; cela ne faisait
qu’accroître l’intérêt humain du personnage. Comme beaucoup de héros qui
succombent à une tentation, c’est la rédemption qui est la plus intéressante à
décrire. Ma courte nouvelle « Marguerite » de 2005 a été le tournant qui a
influencé tous les continuateurs du Nyctalope après moi.
Le court-métrage Le Nyctalope prend de très
larges libertés avec le personnage originel, tout comme dans La Brigade chimérique. Partagez-vous ces différentes réappropriations du personnage ?
A
vrai dire, non. J’aime beaucoup les deux Sherlock contemporains de la TV, mais
pour moi, Sherlock Holmes doit rester fidèle à l’original, et c’est pour cela
que préfère les versions avec Jeremy Brett ou les pastiches plus fidèles comme
ceux de John Gardner ou Nicholas Meyer. Donc je respecte l’approche de La Brigade
chimérique mais ce n’est pas la mienne, ni celle de nos auteurs. Nous sommes
beaucoup plus respectueux du « canon » comme on dit –de l’œuvre
originale. Notre version de Léo a certainement subi de profonds traumatismes
qui ne figuraient pas ouvertement dans les romans de La Hire –sur Mars et
pendant la Deuxième guerre mondiale, par exemple– mais fondamentalement, il
demeure le même personnage.
Fantômas, Vidocq, Lupin… Nombre de héros français
ont connu des adaptations en films (télé, cinéma). Pourquoi jamais selon vous
un long-métrage n’a été tiré des aventures de Léo Sain-Clair ? Est-ce à
voir selon vous avec le passé controversé de son auteur, Jean de La Hire ?
Il
est toujours difficile de se livrer à ce genre de suppositions. Alain Resnais à
essayer de monter Harry Dickson et a échoué parce qu’il n’a pas pu trouver les
fonds nécessaires... Il est certain qu’en ajoutant le passé de La Hire en plus,
ça fait un dossier propre à décourager les meilleures volontés. Notez que
Christophe Gans n’a pas non plus réussi à monter Bob Morane et Fantômas...
Alors, Le Nyctalope...
Savez-vous s'il existe un roman avec des héros français (Lupin, Vidocq et autres) dans le style des gentleman extraordinaires ?
RépondreSupprimerMerci
Christian Gitton