18 mai 2014

Jean-Marc Lofficier, des éditions Rivière Blanche "Comment apprécier pleinement le présent si on ne connaît pas au moins les éléments essentiels du passé ?"


Il a exhumé Le Nyctalope et ramené pour la toute première fois à la vie ce personnage oublié. Ecrivain et fondateur des éditions Rivière blanche, Jean-Marc Lofficier revient à l’occasion de la sortie du court-métrage Le Nyctalope, sur son attachement et sur le personnage créé en 1911 par Jean de La Hire.



Ecrivain, éditeur… votre vie artistique est intimement liée au Nyctalope. Pourquoi êtes-vous autant attaché au personnage ?
C’est un personnage que j’ai découvert dans ma jeunesse ; je devais avoir 15-16 ans et j’achetais des Fleuve Noir, des Marabout, des Arabesque et autres collections populaires, à la pelle –6 pour 10 francs !– chez les bouquinistes de Toulon. J’ai découvert Le Nyctalope dans les rééditions de Jaeger-d’Hauteville des années 50 avec de jolies couvertures de Brantonne. C’est d’ailleurs ces couves qui m’ont amené à acheter les livres, car Brantonne illustrait aussi (vous devez le savoir) les couves du Fleuve Noir Anticipation.
Les romans en eux-mêmes, il faut bien l’avouer, étaient souvent un peu décevants : de bonnes idées, mais un traitement qui avait déjà vieilli. A l’époque j’appréciais d’avantage Bob Morane et Doc Savage, chez Marabout. Néanmoins il y avait un charme tout particulier chez La Hire –en particulier ses méchants– qui a fait que j’en ai conservé un bon souvenir. Un peu comme le Chevalier Coqdor de Maurice Limat, que j’ai également repris et poursuivi chez Rivière Blanche, le héros, même désuet,  conservait un charme puissant qui faisait rêver à ce qui aurait pu être...

"Le public américain s’est pris tout de suite d’engouement pour ce proto-Doc Savage français"

Les premiers travaux que vous avez publiés sur Léo Saint-Clair l’ont été aux USA. Quand vous avez réédité l’une des plus fameuses histoires du Nyctalope (Lucifer), c’était d’abord aux Etats-Unis en 2007. Le public américain est-il paradoxalement plus réceptif que la France face à ce type d’héros populaire ?
Tout à fait, oui. Le public américain s’est pris tout de suite d’engouement pour ce proto-Doc Savage français, un peu naïf mais pourtant si attachant. Par « public », j’entends bien sûr les amateurs éclairés qui s’intéressent aux héros de pulps et d’aventure, pas le « grand public » qui ignore tout autant le Nyctalope que Doc Savage ou le Shadow. La preuve de l’engouement et du succès est que de nombreux auteurs m’ont immédiatement proposé des nouvelles mettant en scène Léo.
Ne dit-on pas que l’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie ? En France, par contre, à part une toute petite poignée d’amateurs, c’est le silence le plus total. On a dû vendre moins de 100 exemplaires de Lucifer, en dépit de l’importance de l’œuvre, et de l’appareil critique qui l’accompagne. C’est vraiment attristant !
Pourquoi un accueil si différent entre les deux continents ?
Parce que les anglo-saxons sont attachés à leur tradition populaire : regardez, il y a présentement trois séries mettant en scène Sherlock Holmes : les films avec Robert Downey, Elementary aux USA et Sherlock en Angleterre ; toutes les trois excellentes.
Notre dernier Fantômas remonte à 1980 avec Helmut Berger et avant ça, les Louis de Funès/Jean Marais des années 60. Idem pour Lupin : à part un film médiocre, il faut remonter à la version avec Descrières des années 70. Rien sur Judex. Rien sur le Sâr Dubnotal. Rien sur Rocambole ou les Habits Noirs depuis le début des années 60. Un Belphégor catastrophique... Le constat est affligeant.


"Rien sur Judex. Rien sur le Sâr Dubnotal. Rien sur Rocambole ou les Habits Noirs depuis le début des années 60. Un Belphégor catastrophique... Le constat est affligeant"

Les éditions Rivière blanche œuvrent depuis de longues années à faire revivre Le Nyctalope. Le succès est-il au rendez-vous ?
Non, c’est le moins qu’on puisse dire. Je suis reconnaissant aux quelques fans qui nous suivent dans cette aventure, mais le public, même le public SF, nous boude. Notez qu’on vient de sortir le premier nouveau Fu Manchu écrit depuis 30 ans (un petit évènement aux USA !) en VF, inédit en France, il est sorti dans un silence assourdissant. Donc ce n’est pas que le Nyctalope qui laisse indifférent. Les Français ne s’intéressent pas à leur passé populaire.
Pourquoi ce long travail ? Est-ce pour réhabiliter le personnage ?
Parce que comme pour l’œuvre de Maurice Limat, ou Richard Bessiere, ou les BD de petit format publiées jadis par les éditions Lug et rééditées chez nous dans la collection Hexagon Comics, il faut préserver notre patrimoine culturel populaire. Si on ne le fait pas, personne d’autres ne le fera. Pour moi c’est un impératif, la mission de notre maison d’édition. Ça et la découverte de nouveaux talents pour qui il n’y a plus de débouchés aujourd’hui.
Les livres de Jean de La Hire ont-ils toujours leur place dans les rayons du XXIe siècle ?
Absolument, oui. Sinon l’intégrale de son œuvre –ce serait trop– mais au moins quelques romans essentiels qui sont une « milestone » comme on dit en anglais, une pierre blanche dans l’itinéraire qui va des Chansons de Geste du Moyen âge aux super-héros de notre époque. Comment apprécier pleinement le présent si on ne connaît pas au moins les éléments essentiels du passé ?

"Comme beaucoup de héros qui succombent à une tentation, c’est la rédemption qui est la plus intéressante à décrire"

Vous-même, vous avez également signé (et publié) plusieurs œuvres originales mettant en scène de nouvelles aventures du Nyctalope. Pourquoi faire revivre un héros oublié ?
Par nostalgie personnelle, bien sûr, mais aussi parce que la « dynamique » de Léo Saint-Clair est unique dans l’histoire de la littérature populaire, de par la période « collaborationniste » du personnage et de son auteur. Si l’Angleterre avait été envahie par les Allemands et était tombée sous la domination nazie, je suis persuadé qu’Enid Blyton (pour ne citer qu’elle) aurait collaboré et le Club de Cinq aurait rejoint les jeunesses hitlériennes.
Mais voila, eux n’ont pas été envahi ; nous, si. Le challenge consistait à redorer le blason du Nyctalope de façon crédible ; cela ne faisait qu’accroître l’intérêt humain du personnage. Comme beaucoup de héros qui succombent à une tentation, c’est la rédemption qui est la plus intéressante à décrire. Ma courte nouvelle « Marguerite » de 2005 a été le tournant qui a influencé tous les continuateurs du Nyctalope après moi.
Le court-métrage Le Nyctalope prend de très larges libertés avec le personnage originel, tout comme dans La Brigade chimérique. Partagez-vous ces différentes réappropriations du personnage ?
A vrai dire, non. J’aime beaucoup les deux Sherlock contemporains de la TV, mais pour moi, Sherlock Holmes doit rester fidèle à l’original, et c’est pour cela que préfère les versions avec Jeremy Brett ou les pastiches plus fidèles comme ceux de John Gardner ou Nicholas Meyer. Donc je respecte l’approche de La Brigade chimérique mais ce n’est pas la mienne, ni celle de nos auteurs. Nous sommes beaucoup plus respectueux du « canon » comme on dit –de l’œuvre originale. Notre version de Léo a certainement subi de profonds traumatismes qui ne figuraient pas ouvertement dans les romans de La Hire –sur Mars et pendant la Deuxième guerre mondiale, par exemple– mais fondamentalement, il demeure le même personnage.
Fantômas, Vidocq, Lupin… Nombre de héros français ont connu des adaptations en films (télé, cinéma). Pourquoi jamais selon vous un long-métrage n’a été tiré des aventures de Léo Sain-Clair ? Est-ce à voir selon vous avec le passé controversé de son auteur, Jean de La Hire ?
Il est toujours difficile de se livrer à ce genre de suppositions. Alain Resnais à essayer de monter Harry Dickson et a échoué parce qu’il n’a pas pu trouver les fonds nécessaires... Il est certain qu’en ajoutant le passé de La Hire en plus, ça fait un dossier propre à décourager les meilleures volontés. Notez que Christophe Gans n’a pas non plus réussi à monter Bob Morane et Fantômas... Alors, Le Nyctalope...




1 commentaire:

  1. Savez-vous s'il existe un roman avec des héros français (Lupin, Vidocq et autres) dans le style des gentleman extraordinaires ?
    Merci
    Christian Gitton

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